3. L’idéal du rhizome face à l’architecture pyramidal du web
Internet est avant tout un bien commun, au sens que tout le monde participe, plus ou moins à sa gestion. C’est pourquoi il est perçu comme le standard
parfait du réseaux, « a ‘pivot’ image in Deleuzian term, a known standard from wich all other forms of network depart » [ 5 ].
On peut par exemple concevoir et distribuer des protocoles d’écriture, sans normalisation formelle et sans qu’aucun organisme « dirigeant » ne soit impliquer
dans la conception de ceux-ci, comme le démontre les exemples des BitTorrent et des Bitcoin pour prendre des exemples concrets. Mais il y a cependant une variétés
d’acteurs politiques qui redistribuent les cartes d’un pouvoir politique classique comme ceux qui gouvernent nos pays, des acteurs distribués tout au long de ce
réseau, de cette infrastructure (les États, les auteurs de logiciel, les opérateurs réseaux, les hébergeurs, les fournisseurs de contenu, les organismes de
normalisation technique et une constellation d’organisations prenant place sur l’échiquier politique). Mais comment se fait-il que des points de contrôles existent ?
qu’on puisse par exemple, à travers la gestion des noms de domaines détenus par des organismes privées, décider d’interférer sur la création de nom de domaine propre à
des pays, « .ir » (Iran) ou encore « .cu » (Cuba) ? Il y a une forme de pouvoir transversal et une architecture en constante négociation, impliquant à la fois les États,
les utilisateurs et tout les acteurs en jeux. Cette imagerie d’internet comme rhizome est utilisé comme justification dans une « société des réseaux » pour des changements
sociaux, économiques, exploitant cette « prénotion » du réseaux, une vision schématique qui a acquit sa propre évidence dans la fonction social qu’elle remplit. Pour
tenter de mieux comprendre cela Yves Citton, dans son livre « médiarchie » propose de voir internet sous une forme de mégastructure, « formée de l’ “empilement” (Stack)
de couches en état de superpositions et de chevauchements complexes » [ 3 ], des domaines interdépendants que nous traversons,
chevauchons dans nos utilisations. C’est une rupture avec cette imagerie phantomique du réseaux/rhizome d’internet qui fait modèle, un modèle commercial qui dissolve la
distinction humains et non-humains pour en faire un simple maillon d’un réseau.
« That the internet appears to us as representative, whereas in fact this cannot be upheld on the basis of scale, user numbers or formal properties » [ 5 ]. À travers cette
vision schématique des « Stacks », Y. Citton tente de reconsidérer la subjectivité de l’utilisateur et des effets sur sa perception de ces traversées, tout en caractérisant
les propriétés effectives du web.
« L’ensemble du système est invoqué et activé par chaque connexion donnée ».
Ces « Stacks » ont donc cette qualité commune au rhizome d’éviter une forme total d’ensemble, mais elles permettent cependant à partir d’une couche particulière de
« Stack » d’infiltrer les autres couche. Les points sont effectivement reliés, mais il n’existe pas un chemin unique pour cette traversée, et celle-ci a des conséquences.
Il faut traverser ces couches, faisant face aux censures, normes, restrictions et injonctions propres à la strate traversée.
On arrive ici dans une domaine plus technique, politiques propre à un internet, un passage qui me semble nécessaire et souvent oublié dans cette comparaison internet/rhizome.
Jean-Thierry Julia, dans sa publication « Rhizome, réseau et petit-monde (Gilles, Henri, Paul... et les autres) » soutient que « Le vocable de « rhizome », exempt d’histoire
et de précédents développements, véritable invention conceptuelle au sens deleuzien, sera toutefois préféré à celui de « réseau » pour en (ré)investir le pan épistémologique
tombé dans l’oubli. »
Internet reste soumis à une arborescence qui institutionnalise, hiérarchie que l’on n’éprouve pas directement mais qui nous impacte. C’est pourquoi des projets autonomes de
création de réseaux locaux se développement pour tenter de répondre à une urgence écologique, politique ou économique à travers un tissage de lien réalisé par la population
et pour la population.
Même s’ils ne semblent pas réussir complètement l’utopie du réseau maillé technologique comme rhizome, ces projets décrits par Adam Rothstein semble inspiré de ce fonctionnement,
comme une relecture des utopies numérique des années 60, où la technologie devait rassembler les savoirs et aider les peuples à cohabiter, contre une homogénéisation du
web apparaît aujourd’hui insurmontable.
« The mesh strategy, while not quite fulfilling the dream of the rhizome, has proven useful in these cases for adding customers a few at a time over a long period, not requiring
the major investments of infrastructure that large ISPs require. Instead, customers can band together to connect themselves to the rest of the network—sometimes even laying
fiber optic cable themselves to a new neighborhood or another few hundred meters down the road from the last node. There is a certain distributedness to this strategy [...]» [ 1 ]
Lors d’un workshop par Eyebeam (un studio à but non lucratif qui organise des expérimentations collaboratives) intitulé « blackout simulation » où les participants devaient
bâtir des réseaux maillés (« mesh networks ») dans un monde sans internet (« In this workshop, Eyebeam will turn into an “Internet Blackout” or “Practocalypse”
(Practice Apocalypse) »), bâtissant des réseaux décentralisés locaux, nouveaux, plus petit et spécifiques aux sites dans lesquelles ils évoluent, parallèlement au web
global pyramidal. L’article de Rhizome.org se conclut par:
« But if we are to take Deleuze and Guattari at their word, the rhizome is not so much a steady state of being as it is a way of moving, thinking, and acting. [...]
Power exists vertically, and artists and activists respond horizontally. If this century is Deleuzian, and our networks are becoming like rhizomes, it not because they
were already decentralized. Rather, it it is because they now must be, in order to survive. » [ 1 ]
On pense notamment à des réseaux maillés qui ont émergé durant les révolutions arabes qui perdurent aujourd’hui, Open Mesh Project créé durant la révolution égyptienne de
2011, ou Occupy.here, un projet qui perdure après la mouvance politique qui l’a engendré, des fuites qui n’en finissent pas de bourgeonner, à la manière de la mauvaise herbe
qui croît par le milieu. Mais peut-on considérer ces réseaux comme une fuite du réseau dominante d’internet ? ou un « internet local » qui se désolidarise pour échapper aux
contrôles des points de pouvoirs des différentes Stack ? Une chose est sûr, ce sont des vies connectés par la logique du mouvement, unies par un idéal horizontal.
« Nous sommes fatigués de l’arbre. Nous ne devons plus croire aux arbres, aux racines ni aux radicelles, nous en avons trop souffert. Toute la culture arborescente est
fondée sur eux , de la biologie à la linguistique. » [ 2 ]
Il en convient donc de se ré-approprier cette révolution scientifique qu’est Internet et les nouvelles sources de pouvoir qui se sont développé inhérentes à son fonctionnement.
Une des solutions est peut-être d’utiliser des réseaux locaux épousant les flux révolutionnaires pour les faire bourgeonner et se répandre.
Le modèle d’internet ne correspond donc pas comme image du réseau rhizome, cependant l’héritage de Deleuze et Guattari semble indispensable dans la conception et l’amélioration
d’un web réellement commun et démocratique. En faisant cette dissertation j’ai pris conscience de plusieurs problèmes liés à l’infrastructure du web et comment celle-ci est
considérée, vendue, démontrant l’utilité de se replonger dans le travail des ces deux théoriciens.